article assez intéréssant
L’épreuve du deuxième album
Leur premier disque était un succès. Réussiront-ils à transformer l’essai ? Quelques scénarios pour que la deuxième fois soit aussi la meilleure.
Vers 1967, à l’avènement du psychédélique et du progressif, la notion d’œuvre émergea dans le rock, l’album devenant un manifeste artistique, un tout cohérent et pensé – et non plus une simple collection de chansons à vocation populaire. Cette année-là, alors que les « anciens », en progression constante, se fendent d’ambitieux albums plus ou moins conceptuels (Sgt. Pepper’s pour les Beatles, Their satanic majesties request pour les Stones, Sell out pour les Who), de jeunes groupes comme les Doors, le Velvet Underground ou Pink Floyd surgissent avec des œuvres majeures dès leur coup d’essai. Désormais, dans le rock, si le premier album reste un enjeu, le deuxième sera un défi supérieur, un casse-tête infernal. Comment le résoudre (ou pas) ?
Scénario no 1 : on ne change pas une équipe qui gagne. Fin 1967, les Doors, avec Strange Days, se contentaient, forts d’un bon stock de chansons en réserve, de dupliquer habilement la recette à succès du premier (jusqu’au final étiré de When the music’s over, en réponse à The End). Oasis ou Franz Ferdinand, retenant la leçon, ont suivi la même voie, avec des copies carbone (de qualité) reportant l’échéance du renouvellement au troisième album. On sait qu’Oasis s’est ensuite embourbé, qu’en sera-t-il des pétillants Ecossais ?
Scénario no 2 : le faux départ. Intentionnellement ou pas, certains groupes ne jettent pas toutes leurs forces dans le premier album. Le deuxième paraissant d’autant plus accompli : ainsi, Jethro Tull débutait avec un étonnant album de blues décalé pour enchaîner avec l’impressionnant Stand up (en 1969), manifeste heavy folk qui allait définir le style du groupe hirsute. De même, Fun House, des Stooges, ou Paranoid, de Black Sabbath (tous deux en 1970), en précisant le son de leurs premiers essais, devenaient les enregistrements de référence d’Iggy ou d’Ozzy. Plus tard, The Cure allait, de la même manière, trouver avec Seventeen Seconds (en 1980) sa patte définitive. Et se souvient-on que le monumental Nevermind (1991) était en fait le deuxième album de Nirvana, successeur du (justement) négligé Bleach ?
Scénario no 3 : un chef-d’œuvre d’entrée de jeu ! Mais alors, problème : le deuxième album, quels que soient ses mérites, ne pourra que pâlir de la comparaison. Et l’artiste se voit condamné à vivre dans l’ombre de sa fulgurance initiale. Le génial groupe new-yorkais Television a ainsi été victime de l’écrasante classe de Marquee Moon (1977). Même chose pour Patti Smith et son majestueux Horses (1975). Et que dire de plus après les définitifs Welcome to the pleasure dome, de Frankie Goes to Hollywood (1984), ou Dummy, de Portishead (1994) ?
Scénario no 4 : non contents de produire un premier album incandescent, certains ont aussi eu le malheur de devenir les fers de lance d’un mouvement. Ainsi The Clash, conscience du punk, les Stone Roses, princes de Madchester, ou Guns N’ Roses, les rois du hair metal. Les premiers, après avoir longuement traîné, enregistrent dans la douleur Give’em enough rope (en 1978), massacré par une production déplacée, limite metal, de Sandy Pearlman. Les deuxièmes mettront cinq ans à accoucher d’un Second Coming décevant. Et les troisièmes, presque aussi longtemps pour concocter le mégalo et délayé Use your illusion. Si Clash puisera dans cette expérience pénible l’énergie de produire London Calling dans la foulée, les deux autres groupes ne se remettront pas de ces ratés.
Scénario no 5 : le plus sûr, à condition d’en avoir les moyens, est de concevoir sa carrière comme un escalier que l’on gravit de palier en palier. Led Zeppelin, U2 ou Radiohead ont commencé fort, mais leurs disques suivants ont enrichi la matrice initiale. De l’art de concevoir son deuxième album, non pas comme une fin en soi, mais comme une étape sur une route ascendante. Encore faut-il en avoir l’ambition, la vision, et zéro complexe.
Scénario no 6 : pour ne pas prendre le risque de souiller à jamais une discographie exemplaire, une solution… Se contenter d’un unique et irréprochable témoignage discographique. Les Sex Pistols ne l’avaient peut-être pas voulu ainsi, mais que Never mind the bollocks soit resté leur seul enfant a largement contribué à en faire une œuvre intouchable. CQFD ? Pour les quatre jeunes groupes ci-contre, c’est d’ores et déjà foutu pour ce scénario à la James Dean .
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un bon album
BLEACH
A celui qui se demande pourquoi Nirvana ? pourquoi ce disque ? voici un élément de réponse : parce que le punk est mort. Le grunge ne peut être compris que s’il est envisagé sous l’angle de ce deuil originel, deuil que Cobain ne parvenait pas à accepter, ce qui a rendu sa trajectoire si désespérée et vaine. La voilà la grande misère des enfants de cette fameuse Génération X. Une génération privée d’une musique capable de véhiculer son mal-être. Car à l’époque, c’est-à-dire vers la fin des années 80, la scène rock est tout simplement pitoyable, vautrée dans un puits sans fond de mauvais goût. C’est le triomphe des groupes de Hair Metal de type Mötley Crüe, avec leurs pantalons moule burnes, leurs coiffures abominables, leurs solos suraigus, leurs voix de castras et leurs paroles machistes. Comment se reconnaître là-dedans ? Certes, à l’époque, Pixies, Sonic Youth et autres Hüsker Dü concoctent des albums qui forgeront le visage du rock indé de demain mais à l’heure actuelle, qui les écoute ? Le grunge est tout simplement né de cette frustration, celle d’avoir le besoin vital d’une musique qui nous ressemble.
Alors qu’a-t-on fait ? Ce qu’on a pu. Avec les moyens du bord. A ce propos, c’est Patrick Eudeline (eh oui, pourtant lui) qui a peut-être eu la phrase définitive sur le grunge : "C’est du punk rock qui ne renâcle pas devant Black Sabbath, AC/DC ou Led Zep et accepte, par le fait, le son lourd et heavy comme les pédales d’effet" (Rock & Folk n°424 p. 53). Le grunge, ça n’est que ça. Du punk joué avec du matos de hardeux. Point barre. Il ne faudrait pas croire que le Kurt Cobain est né punk. C’est le metal qui a assuré son initiation au rock. Jeune ado totalement à côté de ses pompes, occupé à fumer de l’herbe, tout en reluquant les articles de Lester Bangs au son de Led Zep (qu’il massacre avec son premier groupe Fecal Matter), de Black Sabbath (qu’il admire) et même d’Aerosmith dont il reconnaît l’efficacité. Il faudra attendre la rencontre avec Buzz Osbourne, leader des Melvins, pour que le hardos d’Aberdeen (Kurdt Kobain) se reconvertisse au No Future.
Et ça a donné ça, donc. Bleach. En toute logique. Cherchant un titre pour le premier album de son groupe, Cobain tombe sur une pub recommandant aux toxicos de nettoyer leurs seringues à l’eau de Javel afin d’empêcher la transmission des maladies. La rhétorique est toute trouvée, entre pureté et saleté, entre rage destructrice et aspiration mélodique, entre désespoir punk et cadre pop. On ne peut plus logique, en effet. Comme il est fièrement indiqué sur le dos de la pochette, le disque fut enregistré pour 600 dollars. Ce qu’elle ne dit pas, c’est que l’argent a été fourni par Jason Everman, crédité comme membre du groupe même s’il ne joue pas une seule note de l’album. La première caractéristique de Bleach, c’est donc le son. Lourd, guttural, comme cette basse qui creuse les boyaux dans l’intro de "Blew", poisseux comme ce "Paper Cuts", lancinant comme le rythme chancelant de "Sifting". Ça ressemble beaucoup à du Melvins, mais du Melvins en proie à une Teenage Angst aigue, dont les emballements ("Negative Creep", "Mr Moustache") sont autant de tentatives désespérées de gagner un peu d’oxygène dans ce marais puant qu’est la réalité.
Oui, le son de cet album est vraiment extraordinaire. Parce qu’il happe tout de suite l’oreille. Parce qu’il est sale, mais pas volontairement approximatif (on est pas chez les Libertines ici). Parce que Cobain n’avait pas encore ses tics d’écriture, un peu pénibles sur les bords : saturations à répétition, structure en couplet chanté/refrain gueulé. Du son. Et des textes, transcription de tout l’univers naïf et décalé tel que dépeint dans les carnets du Christ grunge, véritables contes pour enfants perturbés du style Kurt chez BouseuxLand. Avec tout ce que ça comprend : allusions pédophiliques ("Floyd The Barber"), haine totale et irrémédiable de soi ("Negative Creep"), maigre confort éthylique ("Scoff"), paysages glauques et absurdes traversés par quelques personnages fictifs ("Mr Moustache"). Le tout est incroyablement dense et maîtrisé même si les compos n’atteignent pas encore l’intensité des futurs chef d’œuvres ("Lithium", "Teen Spirit" ou le trop méconnu "Frances Farmer Will Have Their Revenge On Seattle") . Mais le talent est déjà là, dans sa forme la plus pure. Non coupée. Pour apporter un peu de variété, Nirvana se fend d’une reprise des Schoking Blue, "Love Buzz", que le groupe magnifie avec l’ardeur du bûcheron. Et puis il y a "About A Girl". Certes, le ton est plutôt musclé, par rapport à la version originale du titre, plus acoustique, mais l’innocence et la sincérité pointent comme jamais. On sait qu’à l’époque Cobain avait déjà composé des purs morceaux pop comme "Polly", mais obsédé par l’éthique punk, ce dernier refuse de graver sur disque ces élans mélodiques, qu’il assimile de façon abusive à des dérives mercantiles, craignant probablement les réactions outrées des tenants de la doctrine underground, lesquels vont chercher des compromissions là où il n’y en a pas.
Qu’importe. Même aujourd’hui, alors que le grunge semble remonter à la préhistoire, malgré les Nevermind et In Utero qui suivront, Bleach se tient toujours debout, sur ses 13 titres obscurs et butés, dessinant la figure d’un Kurt Cobain que Gus Van Sant ne voudra jamais filmer. Celle d’un croyant qui a placé une foi aveugle et absolue dans le punk rock. Ce disque est son bréviaire, avec ses vérités et ses errements. A l’heure où l’on ne fait que ressasser encore et encore les circonstances de la mort du chanteur de ce groupe avec un acharnement limite dégueu, mieux vaut se repasser à fond les ballons les ritournelles blafardes de cet excellent disque... punk.
Tout comme lui je ne ferai jamais ce deuil car il est inutile...............................................................
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Kurt Cobain
bob dylan
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